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Voici les temps forts de leur conversation :
- « Si le scénario d’une présidence Biden associée à un Sénat républicain se confirme, nous pourrons certainement espérer une réduction des incertitudes commerciales, et, à mon avis, une politique étrangère plus conventionnelle… Biden lui-même est très largement considéré comme faisant partie de l’establishment mondialiste, de sorte que son élection pourrait signaler un potentiel retour des États-Unis parmi les signataires de l’Accord de Paris, du Partenariat Trans-Pacifique et peut-être même de l’accord sur le nucléaire iranien conclu sous l’administration Obama. Cela pourrait ainsi initier une impulsion positive au niveau des multinationales et des organisations gouvernementales ». – Andrew Ness
- « Ce que nous avons constaté dans le contexte de la crise liée à la COVID est clairement une réaction des grandes multinationales, qui repensent leurs chaînes d’approvisionnement. Dans une certaine mesure, il me semble que cela profite à quelques-uns des pays de l’ANASE ; cela étant… la Chine a pour elle l’avantage d’immenses capacités d’exploitation, de vastes étendues de terre et d’une infrastructure bien établie. Dans ces conditions, je ne pense pas que nous assisterons à une délocalisation massive de l’industrie manufacturière, mais il est certain qu’à la marge, ces pays sont bien placés pour profiter de ce transfert continu de l’activité hors de Chine continentale ». – Andrew Ness
- « Je pense que les opportunités [sud-]coréennes, au regard des valorisations que nous observons dans le pays, sont des plus intéressantes pour nous. Et c’est particulièrement vrai pour certains des principaux titres technologiques coréens. Je pense que dans les marchés émergents, les possibilités liées au commerce électronique demeurent attrayantes, et ce dans toute une série de pays – Taïwan, Chine, Russie, Corée et Amérique latine ». – Andrew Ness
- « La Russie est dotée d’une force de résilience intrinsèque qui est à mon sens largement sous-estimée… et je pense que les deux pays ont beaucoup plus d’intérêts communs que ce que les gens imaginent ». – Andrew Ness
- « Je pense que le Brésil est un marché où le pays et la population ont vécu des moments très difficiles. J’espère vraiment qu’ils ont la résilience et la stabilité nécessaires pour laisser cette épreuve derrière eux. Et s’ils y parviennent, je pense qu’il y a là une formidable opportunité compte tenu du profil démographique du pays et de l’abondance de ses ressources naturelles et de ses produits agricoles. Le Brésil aura beaucoup à offrir au cours des prochaines années, espérons-le ». – Andrew Ness
Transcription
Stephen Dover : Bonjour et bienvenue Andrew.
Andrew Ness : Merci Stephen.
Stephen Dover : Andrew, comment cette élection aux États-Unis a-t-elle globalement affecté les marchés émergents, ou comment pensez-vous qu’elle les affectera ?
Andrew Ness : Nous ne passons jamais beaucoup de temps, en tant qu’équipe, à prédire les résultats politiques. La plus grande partie du risque actif se situe en effet au niveau de chaque entreprise. Je considère rarement les facteurs top-down tels que la politique comme une source de risque. Cela étant, nous avons vraiment besoin de connaître ces risques. Le sujet est donc tout à fait pertinent pour nous. Suivre les élections américaines a été une expérience fascinante. Dans le scénario anticipé – et qui reste à confirmer – d’une présidence Biden combinée à un Sénat républicain, trois grandes raisons justifient selon moi un certain optimisme à l’égard des marchés émergents. Tout d’abord, on peut s’attendre à un certain assouplissement de l’attitude politique vis-à-vis de la Chine. Nous pourrons certainement espérer une réduction des incertitudes commerciales, et, à mon avis, une politique étrangère plus conventionnelle. Telles sont selon moi les principales attentes du marché qui devraient être considérées comme de bonnes nouvelles pour les marchés internationaux et plus particulièrement pour les marchés émergents. Pour ce qui est de la personnalité même de Joe Biden, [il] est très largement considéré comme faisant partie de l’establishment mondialiste, de sorte que son élection pourrait signaler un potentiel retour des États-Unis parmi les signataires de l’Accord de Paris, du Partenariat Trans-Pacifique et peut-être même de l’accord sur le nucléaire iranien conclu sous l’administration Obama. Cela pourrait ainsi initier une impulsion positive au niveau des multinationales et des organisations gouvernementales comme l’OTAN [Organisation du traité de l’Atlantique Nord], l’UE [Union européenne], l’OMS [Organisation mondiale de la santé] et l’OMC [Organisation mondiale du commerce].
Stephen Dover : Ainsi, chaque fois que les États-Unis entrent dans de telles organisations transnationales, c’est généralement bon signe pour les marchés émergents. Faisons une mise au point sur la façon dont vous envisagez les marchés émergents. Je sais que les gens se focalisent sur le débat croissance/valeur, et vous et moi parlions de la façon dont vous abordez en réalité les marchés émergents sous l’angle de la rotation entre résilience et vulnérabilité. Pouvez-vous expliquer à quelle philosophie élémentaire vous faites appel lorsque vous considérez les marchés émergents ?
Andrew Ness : Tout à fait ! Je pense que le fait d’opposer la croissance à la value est un système que notre industrie tente désespérément d’appliquer encore et encore, mais de notre point de vue, c’est le monde qui est en train de changer. Et je pense que nous devons peut-être nous intéresser davantage aux pays et aux entreprises qui présentent des vulnérabilités et aux pays et aux entreprises qui font preuve de résilience. Et j’estime également qu’il faut opposer vision à court terme et vision à long terme. S’agissant du très court terme, je pense qu’aucun d’entre nous ne serait surpris d’observer une surperformance de la valeur traditionnelle. La rotation de style d’investissement très brutale qui s’est opérée la semaine dernière témoigne à mon sens largement de cette surperformance. Je viens de lire un commentaire très intéressant dans le FT [Financial Times], qui m’a fait rire. Plutôt que de l’envisager comme un « cygne noir » ou un évènement rare – ce n’est clairement pas le cas – il plus approprié de penser à un rhinocéros gris. Un rhinocéros gris est un événement évident et important. Il est facile de ne pas lui accorder trop d’attention, jusqu’au moment où il se met soudainement à charger. Je pense donc que nous pourrions observer un environnement dans lequel ces titres mal aimés et sous-représentés dans les portefeuilles se comporteraient bien sur le court à moyen terme. Mais à plus long terme, et à plus forte raison de notre point de vue, nous pensons que tout un éventail de secteurs des marchés émergents devra connaître des bouleversements numériques durables. Je pense que cela crée une menace de perturbation qui persiste, et que de nombreux modèles commerciaux ainsi que les segments plus traditionnels du marché, que ce soit dans le domaine de l’énergie, de la finance ou de la vente au détail, sont confrontés à un avenir incertain. C’est pour cette raison que nous parlons de résilience, par opposition à la vulnérabilité. Et que nous mettons l’accent sur les entreprises habituellement mieux armées pour faire face aux perturbations économiques. Ces entreprises résistent par ailleurs bien à la transformation numérique qui s’opère aujourd’hui.
Stephen Dover : Et bien, je pense que c’est quelque chose dont beaucoup n’ont peut-être pas conscience au sujet des marchés émergents : ils ont évolué de manière spectaculaire. Et à cet égard, les indices de référence ont eux aussi changé au cours des cinq à dix dernières années. L’énergie et les matériaux ne tiennent plus une place aussi prépondérante qu’auparavant. La technologie présente désormais des pondérations importantes. Dans ce contexte, l’investissement sur les marchés émergents est lui aussi considéré différemment.
Andrew Ness : Tout à fait ! J’ai débuté ma carrière à la fin de l’année 1994. Les observateurs du marché et les historiens parmi vous se rappelleront de l’extrême volatilité de la classe d’actifs durant cette période. Il s’agissait d’une classe d’actifs profondément cyclique et tournée vers les matières premières. Nous avions un nombre important de pays dont le marché était dominé par les matières premières, lesquelles étaient alors généralement sur-représentées dans les indices de ces pays. Puis, au cours des 25 dernières années, comme vous l’avez clairement souligné, une transformation remarquable s’est opérée. Nos pays nous permettent désormais de nous exposer à certaines technologies de pointe et à l’innovation. Dans tout un éventail de marchés émergents, le paysage industriel se remodèle en profondeur. Et nous continuons de penser qu’à cause de cette mutation, les investisseurs ont une compréhension biaisée du potentiel que renferme la classe des marchés émergents.
Stephen Dover : Donc, le rhinocéros blanc dans la pièce, appelons-le comme cela, est la COVID et la pandémie. Les nouvelles sur ce front sont évidemment plutôt bonnes, avec l’annonce de vaccins susceptibles d’arriver sur le marché. S’agissant des marchés émergents, bien sûr, la question est de savoir à quelle vitesse les vaccins pourraient être mis à disposition ? L’une des actions possibles du président Biden serait de rejoindre l’Organisation mondiale de la santé, ce qui aurait un impact sur les modalités de distribution des vaccins. Sans rentrer dans les détails, pouvez-vous nous dire comment la pandémie a affecté les marchés émergents et comment vous envisagez le déploiement des programmes de vaccination ?
Andrew Ness : Bien sûr. Pour en revenir à mes propos sur le début de ma carrière, les crises auxquelles nous avons dû faire face dans le passé s’apparentaient à un modèle relativement « classique » de crise de la balance des paiements des marchés émergents, avec des devises surévaluées, des emprunts étrangers trop importants et une implosion des comptes extérieurs. La nature de la crise actuelle me semble profondément différente. C’est une crise mondiale, qui a frappé tous les pays de manière simultanée. Certains pays ont démontré leur aptitude à gérer la situation. Je pense que l’Asie du Nord a prouvé son efficacité, tant en termes de robustesse de ses institutions et ses entreprises que de comportement des populations et semble avoir été capable de faire face à la crise de manière raisonnablement efficace. D’autres zones de la classe d’actifs, où les budgets sont moins souples et où les conséquences sanitaires ont été bien plus graves, ont été nettement plus malmenées.
S’agissant de l’avenir, nous avons été raisonnablement prudents dans nos anticipations de reprise : nous partons du principe que le redressement n’interviendra pas avant le T4 [quatrième trimestre] 2021. Par conséquent, c’est à partir du T4 2021 que nous devrions commencer à observer une activité économique plus normale dans la plupart de nos économies. Aujourd’hui, compte tenu des annonces effectuées ces deux dernières semaines par les laboratoires travaillant à l’élaboration d’un vaccin, nous espérons en fait que nos hypothèses s’avèrent trop prudentes. Mais mon avis personnel est que l’économie connaîtra une forte accélération bien plus tôt en 2021 sous l’effet des deux éléments. Le premier est en lien avec le déploiement prochain des programmes de vaccination mais le second réside selon moi dans une possible évolution de la pandémie en « simple » maladie respiratoire endémique. Je me trouve au Royaume-Uni, où nous connaissons actuellement un deuxième épisode de confinement partiel, mais en réalité nos systèmes de santé s’en sortent raisonnablement bien. Et il semble que le redoutable pic de contamination que nous redoutions il y a peut-être six ou huit semaines ne semble pas devoir se concrétiser. J’aime à penser qu’il en est de même dans le reste de notre classe d’actifs des marchés émergents, où il ne semble pas que de nouvelles mesures de confinement soient à l’ordre du jour. Ainsi, les conséquences économiques d’une recrudescence des infections pourraient ne pas être aussi graves que lors du premier grand épisode de confinement.
Stephen Dover : Mon expérience des marchés émergents me laisse penser qu’en raison du nombre et de la variété des crises (si l’on peut dire) qui ont frappé ces marchés sur une certaine période, tant les pays que les entreprises sont très bien équipés pour y faire face. Et votre argument, je pense qu’il est important, est que vous estimez que la reprise pourrait intervenir dans nombre de ces marchés émergents plus tôt que ce que beaucoup d’autres prédisent. Sur ce, faisons un tour du monde pour évoquer les divers marchés émergents et leurs situations très différentes. Commençons bien entendu par la Chine, et vos perspectives la concernant, et plus particulièrement les entreprises et les secteurs de l’économie chinoise.
Andrew Ness : S’agissant de la Chine, je pense que nous ne pouvons pas faire fi des conséquences politiques de l’élection de Joe Biden, dans l’hypothèse où elle est confirmée, je pense qu’il s’agit du principal pays, d’un point de vue politique, où une évolution positive pourrait être observée, à savoir une refonte complète de la politique américaine à son égard. Et selon moi les marchés salueraient un tel tournant avec enthousiasme. Nous pourrions nous attendre alors à ce que les deux parties s’engagent peut-être de manière plus active qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent. L’année prochaine pourrait être une période de rapprochement, avec l’adoption éventuelle de nouveaux accords commerciaux en fin d’année ou début 2022. Ce serait de toute évidence un dénouement bien plus favorable que ce que nous anticipions il y a encore six mois de cela. Il existe toutefois un risque important pour les actifs chinois sur les marchés de ce pays – et nous en avons malheureusement eu la preuve ces dernières semaines : avant l’arrivée de la nouvelle administration américaine, je pense que l’actuelle pourrait chercher à mettre en œuvre de nouvelles mesures contre la Chine. Je crains qu’il soit ensuite difficile, d’un point de vue politique, de faire machine arrière sur certaines de ces mesures. Et je pense que cela pourrait se traduire sur les marchés par de la volatilité à court terme et une instabilité associée des conditions de change. Au total, les observateurs de la Chine pourraient malheureusement être en passe de connaître quelques mois chaotiques.
Stephen Dover : La Chine a lancé ces deux ou trois dernières semaines son quatorzième plan quinquennal, qui expose le programme économique et les projets de Pékin pour les cinq prochaines années. Il convient de souligner les efforts notables de la Chine pour devenir auto-suffisante. Elle s’efforce vraiment de dépendre moins des exportations mais de reposer davantage sur la consommation et de développer ses propres technologies. Quel sera selon vous l’impact sur le marché et l’évolution probable de la Chine au cours des cinq prochaines années environ ?
Andrew Ness : Ce sujet suscite des débats essentiels. Il est clair, à mon sens, que toute cette notion de dé-mondialisation et de rapatriement des chaînes d’approvisionnement, etc. est montée en puissance sous l’effet des évolutions politiques auxquelles nous avons assisté au cours des 12 derniers mois. La transition du modèle économique chinois dépendant des dépenses d’investissement au profit d’un modèle bien plus axé sur la consommation intérieure était anticipée, et nous sommes clairement en plein dedans. Et nous nous attendons bel et bien à ce que le prochain plan quinquennal se penche sur les modalités de mise en œuvre de ce nouveau modèle par l’administration.
Nous pensons que l’opportunité représentée par le consommateur chinois reste l’une des possibilités d’investissement les plus attrayantes et enthousiasmantes qui s’offrent aux investisseurs à l’heure actuelle. Cela tient selon moi à deux grandes raisons. Il y a d’une part la sous-pénétration continue d’un éventail remarquable de biens et de services divers et variés, cette question de pénétration « classique » très prégnante sur les marchés plus vastes, mais d’autre part, nous savons que les consommateurs chinois, dans une large mesure, ont déjà émergé. La classe moyenne des consommateurs existe déjà, et elle est très importante. Et ces consommateurs ne sont pas différents de nous, Stephen : ils ont accumulé davantage de richesse et de revenus au cours des dernières années et ils aiment dépenser leur argent pour de meilleures choses, de meilleures expériences, de meilleurs produits, de meilleurs services. Il existe donc une opportunité de montée en gamme au cœur de ce scénario de consommation, mais il y a aussi la question de la Chine.
Stephen Dover : Ainsi, le plan quinquennal précédent contenait une initiative appelée « Belt and Road » via laquelle la Chine s’efforçait vraiment de contribuer au développement de nombreux autres marchés émergents, soit par les voies maritimes, soit par les routes et le développement. Comment envisagez-vous les futures relations de la Chine avec d’autres marchés émergents et dans quelle mesure pensez-vous que ces marchés émergents seront plus ou moins dépendants de la Chine qu’ils ne sont de l’Occident ?
Andrew Ness : Voici une autre question essentielle. Si vous vous penchez sur l’initiative « Belt et Road », il faut, je pense, la replacer dans le contexte de la politique étrangère chinoise et de son évolution. Et s’agissant de la guerre commerciale et de la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis, nous avons toujours considéré ces aspects comme faisant partie d’une lutte entre les deux superpuissances pour asseoir leur hégémonie politique. Et c’est bien ce qui se joue, que ce soit dans la mer de Chine méridionale, théâtre comme nous le savons de tensions durables, ou au Moyen-Orient ou en Asie centrale avec le problème « One Belt One Road ». Pendant des années, depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping et jusqu’à celle de Xi [Jingping] je pense que la politique étrangère de la Chine se résumait surtout à se faire oublier, et à faire profil bas sur la scène internationale. Puis, à partir de l’accession au pouvoir de Xi, je pense que la Chine s’est engagée dans une dynamique différente et qu’elle est désormais très désireuse de montrer au monde le chemin qu’elle a parcouru. C’est que ce confirme la vision pour 2025, intitulée « Made in China ». Et je pense que cela répond en fin de compte à une nouvelle politique américaine qui tente de trouver un moyen de freiner l’émergence de la Chine sur la scène internationale. Nous avons donc ce différend commercial, qui se transforme peut-être en un conflit plus stratégique. Je pense que de nombreux pays à travers la planète vont devoir se demander dans quel « camp » ils veulent se ranger si le monde doit devenir une entité bipolaire, unique mais régie par deux systèmes différents. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, en particulier pour les pays ayant appris à faire de leur mieux pour occuper une position intermédiaire, peut-être comme le Royaume-Uni.
Stephen Dover : C’est très intéressant. Nous pourrions consacrer toute notre conversation à la Chine, mais l’une des caractéristiques des marchés émergents est leur diversité et le grand nombre de pays qu’ils contiennent, et il y a un pays dont nous n’entendons pas beaucoup parler : la Corée [du Sud]. Peut-être pourriez-vous brièvement nous faire part de vos perspectives concernant la Corée ?
Andrew Ness : J’y ai fait allusion précédemment lorsque nous évoqué l’Asie du Nord, donc la Chine, Taïwan et la Corée [du Sud], et la façon dont tous ces pays ont généralement géré la pandémie de manière assez efficace. Cette efficacité témoigne selon moi de la qualité et de la force de leurs institutions, de leur gouvernance et de leurs structures de santé. Mais elle est également liée, comme vous l’avez fait valoir plus tôt, au fait que ces pays ont déjà traversé des crises similaires et ont su tirer les leçons du passé. Nous pensons que la Corée représente une opportunité considérable pour les investisseurs et renferme un certain nombre d’entreprises très impressionnantes. Mais c’est aussi la première opportunité que nous voyons en Corée. Et encore une fois, c’est un sujet dont on n’entend généralement pas beaucoup parler.
L’examen des bilans souverains coréens nous révèle par exemple que la Corée est l’un des grands pays les moins endettés au monde. Je crois que la dette publique y représente moins de 45 % du PIB [produit intérieur brut]. Ici, au Royaume-Uni je pense que cette dette atteindra 100 % du PIB cette année en raison des mesures de relance budgétaire. La Corée est très en avance dans le domaine de la technologie. Par conséquent, je pense qu’elle est très bien représentée parmi les « gagnants » du confinement et les sociétés capables de tirer parti des nouvelles tendances. La Corée est un importateur net de pétrole. Or, les cours du pétrole se sont effondrés en même temps que l’activité économique, ce qui profite évidemment à une majorité de pays émergents qui, comme la Corée, sont importateurs nets. Malheureusement, de nombreux marchés émergents souffrent également de la débâcle des voyages et du tourisme internationaux. Je ne pense pas que vous trouverez beaucoup de familles qui partent en vacances à Séoul, bien que ce soit l’une des villes que j’ai préféré visiter. Et, une fois encore, ces facteurs permettent une résilience à la situation « top-down ».
Dernier point, qui risque à nouveau d’en surprendre beaucoup : la gouvernance d’entreprise dans les marchés émergents a longtemps été considérée comme un obstacle pour les investisseurs, en raison de certaines craintes et de pratiques inappropriées. Elle agit pourtant comme un moteur d’investissement aujourd’hui dans des pays comme la Corée, qui sont en fait à l’avant-garde en la matière et où nous constatons, grâce aux mesures incitatives du gouvernement, mais aussi à l’engagement des investisseurs, une nette amélioration de l’environnement de gouvernance d’entreprise et un bien meilleur alignement entre les sociétés cotées en bourse et les investisseurs qu’à n’importe quelle autre époque de toute ma carrière d’investisseur.
Stephen Dover : Nous avons beaucoup entendu parler des modifications de la chaîne d’approvisionnement pour la déplacer hors de Chine, dans le cadre des efforts de diversification de l’Occident. Une partie de la chaîne pourrait être rapatriée aux États-Unis ou dans les pays occidentaux, mais certains maillons pourraient aussi être transférés en Asie du Sud-Est. Quelles sont donc vos perspectives pour l’Asie du Sud-Est, notamment en ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement, ou quelles opportunités identifiez-vous dans cette zone ?
Andrew Ness : Oui, je pense que c’est un processus qui a été entamé bien avant l’apparition de la COVID. À mon avis, la plupart des multinationales possédant des sites de fabrication s’orientaient vers une politique de diversification, le but étant d’avoir des sites dans un ou deux autres pays différents, en plus des sites chinois. Cette tendance a clairement profité à des pays comme la Thaïlande ou le Vietnam, qui avaient la capacité d’absorber certaines de ces délocalisations d’installations manufacturières. Ce que nous avons constaté dans le contexte de la crise liée à la COVID est clairement une réaction des grandes multinationales, qui repensent leurs chaînes d’approvisionnement. Je pense que ce phénomène profite dans une certaine mesure à quelques-uns des pays de l’ANASE [Association des nations de l’Asie du Sud-Est] ; il faut toutefois être conscient que cela pose un problème d’échelle. La capacité du Vietnam à absorber les nouveaux sites manufacturiers venus de Chine finira par être limitée. La Chine a pour elle l’avantage d’immenses capacités d’exploitation, de vastes étendues de terre et d’une infrastructure bien établie. Dans ces conditions, je ne pense pas que nous assisterons à une délocalisation massive de l’industrie manufacturière, mais il est certain qu’à la marge, ces pays sont bien placés pour profiter de ce transfert continu de l’activité hors de Chine continentale.
Stephen Dover : Impossible bien entendu de parler d’un pays doté de capacités, d’étendues et d’une population démesurées sans évoquer l’Inde. Quelles sont pour l’instant vos perspectives concernant l’Inde ?
Andrew Ness : L’Inde est un marché fascinant pour les investisseurs. Les opportunités sont si nombreuses. J’ai mentionné l’opportunité que représente le consommateur chinois – de la même façon, l’Inde possède une immense population sous-développée dans de nombreux domaines de son économie de consommation. Et nous pouvons trouver – comme je l’ai mentionné s’agissant de la Chine – des opportunités, à la fois en termes de pénétration des marchés, mais aussi en rapport avec le scénario de montée en gamme sachant que, là encore, nous avons une classe moyenne indienne importante et en plein essor, qui consomme et qui veut vivre de meilleures expériences et acheter de meilleurs produits. Je crois par conséquent qu’il y aura toujours des opportunités pour nous. L’économie connaissait malheureusement un creux cyclique lorsque la pandémie a frappé, ce qui a aggravé une grande partie des répercussions économiques de cette crise. La politique de l’Inde a été de mettre en place un confinement relativement sévère, l’un des plus stricts que nous ayons observés parmi les marchés émergents, ce qui s’est traduit par un environnement économique très difficile. Toutefois, comme dans tous les autres pays, la COVID finira s’en aller et une reprise aura lieu. Et je pense que les opportunités à long terme perdureront en Inde.
Stephen Dover : Faisons un grand bond sur la carte mondiale pour nous rendre au Brésil. Le président brésilien, M. Bolsonaro, était l’un des plus proches alliés du président Trump. Dans ce contexte, une présidence Biden n’est probablement pas une bonne nouvelle pour lui. Que pensez-vous du Brésil ?
Andrew Ness : Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème. Certains diront que la victoire démocrate aux États-Unis et l’administration Biden entament la légitimité du populisme de droite et finissent par miner l’idéologie de Bolsonaro, ce qui pourrait en théorie commencer à plomber les relations commerciales entre Washington et Brasilia. Le président Bolsonaro semble par ailleurs de plus en plus isolé dans les Amériques, compte tenu du virage politique vers la gauche opéré ces dernières années tant en Amérique du Nord qu’en Amérique du Sud. En outre, une administration Biden ne serait pas forcément idéale pour les marchés du pétrole, du gaz et des matières premières, ce qui serait considéré comme potentiellement dommageable pour le Brésil. Mais tout ceci nous ramène à la résilience, le Brésil est un pays qui a subi beaucoup de pressions au cours des vingt ou trente dernières années. C’est un pays assez instable, mais il fait preuve d’une résistance remarquable, tant sur le plan humain que sur le plan économique. Et nous continuons de penser que le processus de réforme engagé par l’administration, qui souhaite ardemment parvenir à un équilibre budgétaire durable, est un facteur positif. Nous évoluons dans un environnement où les Brésiliens profitent d’une inflation et de taux d’intérêt historiquement bas, sans précédent dans l’histoire économique, ce qui se traduit par un potentiel énorme si le pays parvient à stabiliser la dynamique budgétaire et à sortir de la crise liée à la COVID au cours des six à douze prochains mois. Je pense par conséquent que le Brésil pourrait être un endroit vraiment intéressant pour les investisseurs au cours des 12 à 18 prochains mois.
Stephen Dover : À l’autre bout du paysage politique, tournons-nous à présent vers le Mexique. Bien entendu, ce qui se passe en Amérique revêt toujours une importance capitale pour le Mexique.
Andrew Ness : La situation au Mexique est relativement calme. Je pense que le Brésil et d’autres pays d’Amérique latine ont concentré toute l’attention. Le pays a connu selon moi une difficile transition politique. AMLO [Andrés Manuel López Obrador] a exposé un certain nombre de principes très clairs sur la façon dont il veut diriger le pays, et son approche économique est tout sauf orthodoxe dirons-nous. Je vous ai dit que ma carrière avait débuté en 1994. Dans les trois mois qui ont suivi, j’ai été confronté à la crise du peso mexicain, à savoir une très importante dévaluation de la devise et une crise économique et sociale vraiment grave dont le pays a encore du mal à se remettre totalement 25 ans plus tard, si l’on en croit les niveaux actuels de pénétration du crédit et d’autres indicateurs de développement. Je pense donc que le Mexique voit des obstacles se dresser sur son chemin à court terme, et que l’administration Trump ne l’a certainement pas aidé. Nous espérons que les relations entre les deux pays connaîtront un nouveau départ et pourront s’améliorer. Et je pense que des opportunités à plus long terme pourront apparaître au Mexique. Vous savez, c’est un point sur lequel les investisseurs peuvent à nouveau se concentrer.
Stephen Dover : Tournons-nous vers la Russie, qui possède évidemment de nombreuses interactions politiques, de différentes natures, avec les États-Unis. Que vous inspire le marché russe ?
Andrew Ness : Le marché russe est un marché que nous apprécions. Une fois encore, notre opinion se fonde toujours sur la qualité des opportunités « bottom-up » que nous pouvons identifier. Je pense que d’un point de vue « top-down », la Russie est fascinante. Nous avons assisté au retour des sanctions et cela n’a de toute évidence pas été idéal. Assez insidieusement toutefois, les sanctions ont en fin de compte rendu la Russie plus propice à l’investissement en ce sens qu’elles ont permis au pays de gagner en autonomie et en auto-suffisance. La Russie a en effet dû améliorer ses niveaux d’efficacité intérieure et elle a remboursé une part importante de sa dette extérieure. Elle est l’un des pays les moins endettés au moins ; son ratio dette publique/PIB est encore plus bas que celui de la Corée [du Sud]. Les ménages sont généralement faiblement endettés.
L’économie russe fait donc preuve d’une importante résilience, mais elle n’a pas vraiment d’autre choix compte tenu de sa sensibilité accrue aux prix du pétrole. Mais même si nous considérons le pan pétrolier de l’économie, le pays a su mettre de côté ses excédents de revenus pétroliers en prévision des périodes plus difficiles et il est en mesure d’utiliser ces fonds souverains lorsque les prix baissent. Par ailleurs, les compagnies pétrolières elles-mêmes disposent de modèles économiques extrêmement robustes. Certaines d’entre elles sont ainsi capables de dégager une trésorerie positive même lorsque le [baril de] pétrole vaut 15 dollars. Ainsi, la Russie est dotée d’une force de résilience intrinsèque qui est à mon sens largement sous-estimée. J’ai le sentiment politique, à titre tout à fait personnel, que l’approche « classique » des Américains vis-à-vis de la Russie consisterait en quelque sorte à occulter et à oublier une partie des maladresses et des mauvaises actions de ces dernières années. Je pense que les deux pays ont beaucoup plus d’intérêts communs que ce que les gens imaginent, et je n’avais pas l’impression que l’Amérique était en mesure d’assumer deux rivalités stratégiques simultanées, avec la Chine et la Russie. Maintenant, je pense que M. Trump aurait probablement apprécié une telle éventualité, mais malheureusement, comme nous le savons tous, l’enquête russe l’a pour ainsi dire fait disparaître. Je pense qu’il sera très intéressant de suivre et d’observer la « prise en main » de ce dossier par l’administration Biden. À mon avis, le nouveau président ne souhaitera agir dans la précipitation. Je pense qu’au cours des six à douze prochains mois, nous devrions pouvoir nous faire une bonne idée de la façon dont les relations vont évoluer.
Stephen Dover : Merci, Andrew. Difficile de couvrir tous ces marchés en peu de temps. En quelques mots, pouvez-vous nous dire où se situent selon vous les deux ou trois plus grandes opportunités qu’offrent les marchés émergents à l’heure actuelle ?
Andrew Ness : Je pense que les opportunités [sud-]coréennes, au regard des valorisations que nous observons dans le pays, sont des plus intéressantes pour nous. Et c’est particulièrement vrai pour certains des principaux titres technologiques coréens. Je pense que dans les marchés émergents, les possibilités liées au commerce électronique demeurent attrayantes, et ce dans toute une série de pays – Taïwan, Chine, Russie, Corée et Amérique latine. Et je pense que le Brésil est un marché où le pays et la population ont vécu des moments très difficiles. J’espère vraiment qu’ils ont la résilience et la stabilité nécessaires pour laisser cette épreuve derrière eux. Et s’ils y parviennent, je pense qu’il y a là une formidable opportunité compte tenu du profil démographique du pays et de l’abondance de ses ressources naturelles et de ses produits agricoles. Le Brésil aura beaucoup à offrir au cours des prochaines années, espéronsle.
Stephen Dover : Excellent. Je te remercie, Andrew. Ce fut une conversation vraiment fascinante. J’apprécie beaucoup nos discussions.
Andrew Ness : Merci Stephen.
Hôte : Merci d’avoir écouté cette édition de Talking Markets avec Franklin Templeton. Nous espérons vous retrouver demain pour le dernier épisode de notre série spéciale de podcasts quotidiens consacrés à l’élection américaine. Nous nous pencherons demain sur l’impact de cet événement sur les marchés obligataires. Si vous souhaitez en apprendre davantage, consultez nos archives des précédentes éditions et abonnez-vous sur iTunes, Google Play, Spotify ou tout autre grand fournisseur de podcast.
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Une stratégie exposée en particulier à certains pays, régions, industries, secteurs ou types de placements peut être sujette à un risque d’événements défavorables plus élevé qu’une stratégie investissant de façon plus diversifiée. La Chine peut être soumise à une instabilité économique, politiques et sociale très forte. Investir dans des titres d’émetteurs chinois implique des risques spécifiques à la Chine, y compris certains risques juridiques, réglementaires, politiques et économiques.
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